Philippe Pichon
Il est minuit dans les ténèbres intérieures.
La nuit pleine de pièges se lézarde.
Un feu s’allume au fond des miroirs taciturnes.
Une femme, les yeux fermés, passe la porte :
qui est-elle ?
Ses longs cheveux, sur ses épaules nues,
ressemblent aux récits merveilleux de l’enfance.
Dans un couloir, où les portes aveugles
depuis longtemps ne s’ouvrent plus,
une ombre file, éclair furtif,
frais magnésium du souvenir.
Peu de paroles, peu de mots.
Des êtres inconnus s’interrogent sans bruit ;
des mains se joignent, d’autres se fuient glacées ;
voici les joies et les chagrins passés,
deux êtres seuls, leurs larmes, leurs soutiens.
Le bout du monde n’est pas loin.
As-tu revu ton enfance ?
Ont-elles frappé tes sens engourdis,
les cloches d’or qui traversaient le ciel
jadis ?
As-tu toujours la fièvre ? Vois-tu toujours
des hommes forts, indifférents,
passer terribles dans tes rêves ?
Écoutes-tu toujours l’aile de l’eau,
la main du vent,
l’haleine étrange d’un jardin plein de soleil
frôler les tuiles de ta vie ?
Ton cœur fait-il toujours d’immenses rêveries
autour du corps meurtri d’une femme,
pauvre ange ?
As-tu toujours les mains fermées ?
Ce n’est pas toi, je le sais bien.
Ce soir, on va mener la vie un peu plus loin.
L’ombre brisée révèle son squelette de lumière ;
la terre douce se referme sur tes lèvres ;
bouche altérée, bouche blessée, le vent s’écarte
de tes songes, où rien de pur n’a subsisté…
Plus haut, c’est la source des arbres ;
la lune faible luit, les feuilles parlent ;
un peu d’herbe reluit dans un creux de mémoire ;
tu n’es pas revenue, tes mains vides sont noires ;
mon ombre, là, comme une sourde,
comme une source déchirée !...
Mon ombre, qui a peur
de ne jamais te reconnaître.