Dominique Boudou
Ses mains marmottaient encore
Sur les draps tirés au cordeau
Comme si des repentirs la poursuivaient
Une odeur de cendre traversait la chambre
Et j’ai fui ses lèvres grises
Qui n’ont jamais su m’embrasser
Une bougie près du cercueil ouvert
Faisait des contorsions et gémissait
Pauvre bête perdue
Au bord du grand précipice
La flamme était à l’image de la morte
Petite chose sans lumière
Que la vie avait traînée dès ses premiers jours
Suffoquant déjà sa poitrine à l’étroit
J’ai rejoint devant la maison le silence de
L’attente
Qui reniflait un peu toussotait crachotait
Près du jardin sous la brume
Où rampaient des haricots asthéniques
Une fille pleurait sur l’épaule de sa sœur
Qui ne savait comment faire avec les larmes
Une autre dont le pied s’agaçait
Traçait dans les gravillons du seuil
Des cercles de famille si maladroits
Qu’une envie de rire la prenait à la gorge
Cela se voyait à son cou surgonflé
Je me suis éloigné de la comédie de la mort
J’ai regardé la fatigue du jardin sans oiseaux
Les marguerites n’y grandiraient pas cette année
Les haricots auraient de répugnantes
Métamorphoses
Et j’ai surpris mon visage au fond d’une eau
Croupie
Il avait sur les joues quelques traits de la morte
Il avait dans les yeux la même pâleur
Des illusions perdues de l’enfance
Mon dos a eu des soubresauts
Qu’il m’a fallu retenir
Je n’étais ici qu’un figurant dans les écarts
La peine des autres n’était pas la mienne
Puis dans la brume qui continuait à
Descendre
Le fourgon funéraire est enfin arrivé
Crotté comme un tombereau de pommes cuites
Il avait mordu la boue des ornières
Sur un chemin qui n’était pas le bon
Le chauffeur a dit qu’il y avait à se dépêcher
L’au-delà n’attendrait pas longtemps
Et son aide a sorti d’une mallette en fer-blanc
Une visseuse électrique dont le fil tortillait
Un voisin de la morte pétri de fausses pitiés
A ramassé un tuyau d’arrosage
Et nettoyé les coulures du fourgon
Cependant que bourdonnaient les jointures du
Cercueil
De guingois sur ses tréteaux
J’ai fermé les yeux le film ne tournait pas rond
Tant d’images égaraient ma mémoire
Le nom de la morte était-il vraiment le sien
Avait-elle vraiment subi les misères d’alcôve
Qu’on avait fini par sanctifier
Pour en détacher les souillures
Avait-elle avait-elle
N’avait-elle pas n’avait-elle pas pas pas
Et le son [pa] aurait pu m’engloutir
Vortex empestant les suints des vieilles
Couches
Si au détour d’une allée de mûres et d’abeilles
N’avait surgi une troupe de drôles en dimanche
Que je n’avais jamais vus
Que j’allais enfin connaître
Après l’enfouissement de la morte
Autour d’un repas à la hâte
Sur des tables de camping et bancales
Mais tout ça faisait trop de gestes
Mais tout ça disait trop de mots
Les gestes et les mots qui me manquent
Toujours
D’avoir si mal connu ma mère