Cyril Habiballah
fragments X
février 2025
locomotive ivre
fendant le blanc hermine de la steppe
fonçant vers le levant
locomotive sombre
aveuglée par le blanc olympien
toute de bois noir tapissée entre les fauteuils de velours vert
locomotive stridente peinte de rouge et d’or
qui roule pour te cueillir mon amour
roule frénétique
roule ivre folle et saccadée
vers un horizon qui toujours retarde l’inatteignable
et pourtant à chaque seconde je m’attends à déguster ton regard de tsarine
enfin tes yeux bleus de madone
sous ta chapka brune et blanche
impératrice ! qu’as-tu fait de mon cœur
sans doute l’as-tu jeté dans quelque rivière à demi-gelée pour que je souffre moins
que tout cela soit moins sale
qui sait… et après tout il est trop tard désormais tout va si vite
mon seul outrage aura sans doute été celui de t’aimer plus que l’éternel
***
élégiaque chant du cygne
par-delà les marécages noirs de brume et de décomposition
dans la boue dévorante qui entrave
ton spectre hurle entre les ronces et les fougères mortes
quand les dentelles souillées de ta robe en crêpe s’égrènent
derrière tes pas
tes pas qui vacillent et ta vue qui se trouble derrière les larmes
comme un théâtre
un théâtre champêtre avec ses gradins dévorés de pourriture
la lune éclaire ta fuite désespérée
hypnotique et suicidaire
fuir tout simplement fuir
un théâtre
sans public sans gradin
rien que tes fantômes et tes désastres
je pense à Fitzcarraldo
la folie mystique yeux dévorés de passion
je pense à tes joies
tes cris et tes sourires
et si les cauchemars hantent même sous le soleil hurlant du jour
on peut toujours y enfoncer le sabre affuté de la félicité
et je sais qu’une fois fondu ou enlevé
la plaie de la Bête immortelle se résorbe aussitôt
et sans doute est-ce pour ça que tu cherches l’amour dans la mort inévitable
le poignard
liebestod
la mort doit se cueillir comme une fleur de félicité nue
puisque tout est perdu
tout est perdu dans une violence pleine de sang et puante
***
les yeux rivés sur l’infini d’où tout arrive
tu vois jaillir une nuée de Walkyries de ton crépuscule
hurlantes et seins nues
nébuleuse diabolique
entre mes mains il y a les tiennes
elles sont glacées mais ne tremblent pas
et au fond de tes yeux le soulagement de l’abandon crie dans les ruines
enfin tu te laisses glisse dans la mer pour l’éternité
je te laisse partir sur l’eau d’huile d’une nuit sans lune
encre noire
je te laisse disparaitre comme un mort brûle su son radeau de bois
vers sa dernière demeure
bois en feu sur le Nil sans voix
enrobé de déférence envers l’éternel
Voies impénétrables et hurlements des souvenirs en transe
une pointe de feu sur l‘horizon décharné qui surplombe les rizières
je pleure ton odeur
je pleure les fossettes de tes joues…
tes folies
tes colères
ta mauvaise foi
ta pureté
ton entêtement
ta violence
ta chair
ton cœur endimanché
tes courbes et ton sexe empourpré
tes caresses
tes baisers moelleux
tes baisers mortels
la petite lampe rouge et les nuits feutrées collés peau à peau
coiffe mon Olympe de ta grandeur
et fais-moi mal
j’aime quand tu me fais mal
j’aime souffrir de toi ça ressemble à de l’amour
aimer un cœur que tu ne sais pas
assoies toi donc sur mon Olympe
dentelle de jambes et regard chienne
atroce beauté tu es…
terrifiante
erre dans aux confins de mon âme barbelée
mon corps martyr et mon cœur délabré
fais-moi mal encore et débats-toi
crie pendant la nuit en rut
cavalière sauvage aux cheveux noirs
miaule encore que mon corps fonde dans le tien
dans une passion folle et avide
que le sang des amants fracturés se mêle comme les eaux des lacs suspendus de l’Eden noyé de Lumière
***
nectar hésitations lapidaires
au fond de la chaude nuit
muette et sage
robe de soie vermillon
c’est toujours la famine quand tu disparais au clair de lune
dans le lit le jardon la bibliothèque
tu m’échappes
et d’un coup le cauchemar me libère
tout est à sa place
je suis seul
seul pour toujours dans le lit de nos amours