Twin Peaks : The Return de David Lynch par Jacques Jean Sicard
I
De bois sculpté à l’imitation du style baroque Louis XV rehaussé de feuille d’or, le cadre veille au secret du miroir qui reflète un fond noir surmonté d’un plafonnier – à moins que tourné vers l’intérieur il ne réfléchisse la vie moléculaire de son tain et la blessure géométrique d’une taie barrée de noir comme la pupille d’un chat en plein jour.
Sur notre gauche, il est accroché, plutôt adossé, à un rideau plissé, rouge écarlate, tendu sur toute la longueur et couvrant la moitié de la hauteur de la pièce/plan, rideau que le sol reflète deux fois : par la vitrification qui le recouvre et le plissage stylisé de son motif décoratif – à moins qu’il ne soit la projection au monde de son humeur vitreuse.
La pièce/plan est comme un de ces orgues de verre dont les sons effilés évoquent dit-on les morts, les non-nés, les disparus. De fait, hommes et femmes relevant de ces états, par le rouge spéculaire, viennent et reviennent faire ou refaire un tour du manège idiot de la vie. Qu’importe l’époque, qu’importe le temps. Certains, fous de souvenirs, tel Dale Cooper, cherchent du regard à se réfugier dans l’impossible.
II
La pièce/plan conçu par David Lynch pour Twin Peaks, sous l’espèce d’une salle d’attente, est en vérité une malle de grenier où dorment des jouets que parfois une main anime, à ceci près que les jouets sont des êtres de chair et de sang, hommes et femmes alternatifs en ce que tantôt morts tantôt vivants.
La pièce/plan tendu de plis rouges est une variation du concept de l’éternel retour, mais celui-ci dépouillé de l’extase nietzschéenne. Même assorti des nuances que garantit le principe de la réplique, qui en souffre la condamnation n’a plus d’yeux que pour le refuge de l’impossible.
La pièce/plan a un revêtement de sol vitrifié avec un motif de lignes noires et blanches parallèles brisées. Je songe alors, à rebours du désespoir manifeste, au poster d’Emory Douglas où les pieds posés sur une peau de zèbre, encadré par deux boucliers ajourés horizontalement, assis sur un siège de bambou dont le dossier est tressé de bandes horizontales noires et blanches qui ondulent, dans une main une lance africaine, dans l’autre un long fusil, Huey Newton, fondateur du Black Panther Party, fixe la terrible absence de vrais lendemains que l’état des choses lui promet – rêve… rêve… rêve… révolution.
Jacques Jean Sicard