Noyer au rêve de Luminitza C. Tigirlas
Aux aguets de toute promesse de langage, Luminitza C. Tigirlas évite le banal et les poncifs en s’habillant d’un verbe et d’un temps sans frontières, en longeant cet « ailleurs intime ancré en nous-mêmes [qui] forme un territoire extime. »* Et c’est bien par là qu’elle nous offre par bonheur son premier recueil de poèmes.
PRÉSENTATION DE L’ÉDITEUR
La tige libère le saut encore brou et la mémoire de l’être-poète tient éveillé un dieu phonémique. Il donne corps aux ondulations d’une attente révélatrice dans ce recueil où pour d’autres jonctions / des figures jaillissent de ma cosmose. Le rythme de la poésie est décidé par une lame de fond, les mots remontent, parfois vertigineusement, à la surface de l’oubli. Ils nomment Faiseuse de vagues, celle qui souffle sur le feu des trois langues. Dans cette étreinte, le noyer est à l’enfance, à la nudité du rêve, aux jours-flotteurs d’anneaux… Végétal, un quatrième idiome sécrète le manque au fil des poèmes par les racines et les chatons du noyer. Nucarul, l’arbre mythique est témoin volubile de cet autre exil — meurtrissure dans la chair des vocables maternels. Par-delà la perte, une sève non répertoriée / s’offre aux nouvelles entremises des mots / sur les calvaires d’une langue personnelle — le territoire intime de l’être s’éploie vers un autre exorde...
EXTRAIT
" Fends l’air familier
éloigne-toi d’un bond
Ce lieu n’est plus à nous
J’ai corrompu ses couleurs
ses eaux
ses herbes
ses bêtes
ses odeurs
À les enchanter j’ai tout abîmé
par des mots celés
Ce pays ne reconnaît plus le son
de ma voix sans timbre
Des vautours l’ont arraché à ma bouche
Dépourvue de tonalité
me voilà sur les vestiges du rêve
dans un poème de Baudelaire
Pagaille ! Aucune doublure pour moi
à part le ronronnement d’une chatte
Le poète hirsute m’a livrée au ravin
d’où je plains ma voix volée
Ne t’arrête pas
Ton regard sillonne mes abîmes sonores "
Noyer au rêve, Éditions du Cygne.
*Entretien avec Clara Regy dans Terre à ciel.
Luminitza C. Tigirlas, Noyer au rêve, Éditions du Cygne, 2018.
Préface de Xavier Bordes. Illustration de couverture : Doïna Vieru.