Léon Maunoury
ré
pub
li
que
« Personne ne peut prétendre que l’humanité est en train de pourrir sans avoir tout d’abord constaté les symptômes de la putréfaction sur lui-même. »
Stig Dagerman
Écraser son crâne dans les reflets, arracher ce masque étrange. Mon petit vaisseau s’égare dans les torrents de la foule, je suis la barque percée qui s’enfuit vers le large. Des milliards de sourires, des milliards de trouilles noires qui palpitent, des chambres et des palaces à hanter dignement, regarder le monde par sa lucarne et continuer à vivre.
Assis dans ta chambre, à fumer et siroter ta vinasse, les yeux braqués sur l’écran. C’est ici que ça se passe, et tout le monde se la joue de la même manière : à l’aveuglette.
Anonyme cherche identité, petit corps crispé de traviole échange névrose contre idéal.
Hisser drapeaux, frappez tambours ! Les corps glissent en silence sur les rails d’une autre journée à bâcler, il faut brader son temps aux bureaux de l’absurde, et ne rien voir d’autre que des murs et des serrures.
Il paraît que des hommes et des femmes s’occupent de nous, qu’ils ont appris ensemble, dans de grandes et belles écoles, comment faire de ce monde un beau pâturage où nous pourrions brouter en paix. Je m’ouvre une de ces bières infectes et me l’envoie au corps à leur santé.
En paix, bien nourris, bien soignés, accompagnés jusqu’au dernier râle.
La petite barque continue à tanguer dans la tempête, au loin la ville étouffe sous la brume, il faudra rejoindre la côte, rentrer au port. Alors tu jettes un dernier regard vers le vide, loin des boulevards à braver, loin des flics et des urnes, seul avec l’orage, en plein naufrage.
Retour aux longs couloirs jaunâtres du Système, retour au camp, direction la cantine, mâcher, caresser sa nausée et serrer les crocs ; s’imbiber jusqu’à l’os, dormir, et recommencer.
Dans l’angle mort j’écris : Un trône pour tous, à chacun sa couronne de viande sèche, ses ancêtres qui piaillent au chevet, l’Histoire qui rugit dans tes veines.
Dans l’angle mort j’écris : Un brise-glace dans l’écran, une lame joyeuse dans ma poche, de quoi mettre le feu a tous les paons du royaume.
Dans l’angle mort je me recroqueville, loques et lambeaux d’espoir foireux, phasmes identitaires qui s’effritent au miroir, rien ni personne n’a de droit, et les cousins s’enquillent le futur en parades emplumées au gai son du clairon, champagne et feux de Bengale, au pas, au pas.
Il ne te reste que le pouvoir de constater le désastre, de tâter les zones infectées et compter les noyades.
Gouverner sa chute, mener sa barque percée dans les canaux de la République en fourguant sa came au plus offrant, retenir sa respiration et ramer, jusqu’à s’endormir enfin.