Hubert Le Boisselier
BOIRE
Ce soir j'ai bu sans m'arrêter
De porter mon verre à la bouche
D'y plonger la main et le bras
Jusqu'au fond jusqu'au mal - la gorge
S'ouvre, où passent et accrochent
Coude et épaule en extension,
En bascule au bord du monde.
Sous la main s'ouvre le chemin
Emprunté par ma faim, ma soif
Et d'autres envies de mon ventre
Pour n'assouvir rien d'autre enfin
Qu'une vague idée d'être là
- un corps repu par l'illusion.
Ma main guide alors pas à pas
A travers reliefs et creux
Un plein de feu un plein de lave
Rien de moins que pierre précieuse
Rien de plus étranger à l'enfer.
Le ventre est rempli de mes gestes
La main fouille, fouit et modèle
La voie qui mène du bord des lèvres
Au fondement des heures vides
Où elle allume des lueurs.
Les doigts révèlent des espaces
Pour les nourrir d'une présence,
Autour d'un squelette ténu,
Sculpter l'argile qui me tient
Le temps que luit la braise blanche.
Des organes prennent forme
En vertu des coups de couteau,
Doubles de ceux qui m'emplissaient,
Matière à produire des fantômes,
Doubles de moi, doublement moi,
Désert d'abord, maintenant trop
Plein, excès endurci sous la peau,
Ulcère à proportion de mon corps,
Cave rassasiée à ras bord
Débordante de deux fois moi.
Ma main mon bras et mon épaule
Englouties par le gouffre ouvert,
Précipitent mon absorption
Dans cet abime où rien ne vit,
Pour y former un corps partant
Du geste de la main au verre
Jusqu'à la bouche, à la gorge et
Au ventre où se régénère alors
Mon corps en un corps partant de
Rien que le geste, rien que la
Main au profond de la gorge et
Au ventre au centre de mon corps
Où ne vit rien que l'attente de
Quelque chose ou rien, d'un geste
De la main, du bras pour dénouer
Le centre, le ventre, encore.
Mon humeur se disloque enfin
Dans le hoquet des cavités,
Saccades contre les parois
Des organes en bout de course,
Pulsations sur la peau tendue
- À l'intérieur s'élongue le corps,
Cariatide informe, bloc,
Un corps modelé par les accords
Des mots entre eux, miroirs ardents,
D'où naissent la braise et la cadence
Des monologues, des silences,
Des dialogues fantasmés,
Où je cultive ma parole
- La liberté creusée au sens
La chair vive du temps concave.
J'entre dans l'ère des ravages,
De la gaité, de la fièvre
- La cavalcade heurte les vers
Sans mesure même entre les murs.
Je vois la lettre se corrompre
En se mêlant à la semence,
À l'encre blanche de ma soif
Assouvie - j'entends la fréquence
Du conflit et des collisions
Passer mes lèvres sur les mots,
Pure énergie pour ma survie.
Manne : un homme est né, empreinte,
De l'allure altérée du corps,
Des variations de ma présence
Là sur la ligne du discours,
Tantôt dans l'ombre du parler -
Entre syncope et catastrophe.