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Emmanuelle Rabu

ESPACES

 

 

L'espace étroit d'une gravitation. Une rotonde sans " arrête !" avec des murs granitiques, des marches à parcourir pour apaiser la sédition du corps quand l'émotion est si forte qu'elle tétanise. Quelques paliers aussi, pour retrouver un souffle et s’assurer du jour à la pâleur du verre ruisselant de sel et de pluie. Tout en haut, la lumière électrique. Autrefois, feux de bois soumis aux éléments. Aujourd'hui, cœur pulsant, régulier, les signaux de la vie.

 

L'espace éclos d'une respiration. À mi-hauteur, une pièce pure. Un tout petit bureau souriant en clair-obscur. Le sol est couvert de tentures parfois effilochées, usées jusqu'à la trame qui donnent envie de repriser avec couleurs et fils de soie. Une œuvre d’abstraction. Il y fait bon. On y est invité à s'attarder en laissant discourir les pensées. À toucher les tableaux pour regarder du bout des doigts. Ce n'est pas un endroit de silence. Plutôt l'envers filtrant des coups portés par les furies, à l'extérieur. On y sursaute aux résonnances. Puis on s'apaise. On a confiance en l’édifice.

 

L'espace furieux des vociférations. L’absence de limites où tout s’éclaire et tout se noie dans le fracas. Zébrures. Odeur de soufre. Vagues scélérates nées de nulle part à l’assaut des flottilles qu’elles soulèvent, enserrent, et réduisent à l’état de débris. Déferlement des forces brutes éprises de puissance, cinglées par des vents subversifs. Tonitruants attraits d’un spectacle sauvage. Du monde à décrypter. À amadouer. À l’abri dans mon phare, j’entends…

 

Demain, je sortirai si le temps le permet. Avec mille précautions, j’entrouvrirai la porte en repoussant l’écume du jour. Pour inviter les inconscients, guidés par la lumière, à réchauffer l’espace humain de nos contradictions.

MAINS VISAGES

 

 

Juste une seconde, volée à l'impulsion. Une action suspendue des rides d'expression sur les mains concentrées. Et les veines saillantes, fractales sous la peau, qui tracent en continu le flux des volontés.

 

Mains pour parler. Relier l'intime à la matière. Chercher la direction. Donner prise aux désirs. Elles disent l'existence, ses infinis possibles. Les doigts sourient, insoucieux de leur âge, jouent, palpent, impriment, en dilettante ou laborieux.

 

Les visages des mains conversent sur le monde, en extirpent le son, l'odeur et la manière. Une chanson de geste toujours à inventer. Dix doigts pour la conter, pour enchanter la vie.

La chanson de chacun. Dans l'air du temps.

TEMPS DU RÊVE

 

J'abhorre les blancs. Le vide. Le manque. L'absence. Les non-réponses aux non questions. Le silence toujours: mais qu'avez-vous donc à vous taire ? Parlez de but en blancs ! De rêves argentiques. L'un seul sur la jetée. Le presque Rien me fait vous dire. Le pas encore fait advenir.

 

J'abhorre la non-couleur et pourtant j'aime la valeur des blancs de sable sous les chaos noirs des roches ; sans doute à cause des noirs ; J'aime les blancs pour leurs noirs. Je les envie d'être si denses. Les traits tranchent. Ne tergiversent pas. C'est Tout... peut-être... vos ciels livides sont pour moi les pâtures de zèbres végétaux, des blanches d'arbres improbables que leurs zébrures font exister. Font danser. Côte à côte, sans forcément parvenir à s'allier. Ou à s’aliéner.

 

J'adore les liens. Les blancs et les noirs mélangés. Le Tout et le Rien emmêlés. L'O en apesanteur sur la toile de l'arthropode, reconstruite au matin. La rosée devrait s'appeler la grisée. Les gris espoirs de l'aube. Les entre chiens et loups. Les gris révèlent sans dévoiler. Ils allègent les pierres de nos plages, en font un nuancier. Un entre Tout et Rien. Qui a tant à dire à nos âges aborigènes... du Temps du Rêve.

NOS RÉMINISCENCES

- Le sycomore -

 

 

Sur la place arborée

Un enfant gesticule

Il saute pour cueillir les sommités ailées

Qu’un tendre sycomore disperse aux orages

Les élytres étroits d’hélicoptères en vrilles

Dansent en points-virgules sans un souffle apparent

Sur la place déserte

Un garçon accroupi tique son œil-de-chat avec sa porcelaine

Il applaudit

À la victoire

Sort de la poche un calot jaune, remporte l’autre manche

Il se réjouit

À la revanche

Le soleil ruisselle sur les feuilles rougies tombées au sol

Une petite fille s’étonne

Sur la place animée

« À quoi joues-tu ? »

Demande-t-elle

« Je me souviens »

Répond son père

Elle secoue ses cheveux

Entremêlés d’hélices

Il sourit à l’enfance

Toujours à conquérir

Et lance deux billes en verre à l’endroit de l’I vert

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