Jean-Paul Gavard-Perret
Jacques Cauda :
éloge de la jouissaille
Jacques Cauda peint de manière irrépressible tout un bestiaire humain, un zoo anthropologique. Les insanités vont bon train : regardeurs frileux s'abstenir. Ce que l'artiste mate il le fait pourtant pour eux. Il ose se mettre à la place dont ils rêvent mais ne prendront jamais. Il les place sous les porches et dans les lupanars qu'il construit pour eux.
Toisons et grandes lèvres s'écartent pour plonger dans un gai savoir. Et si les femmes semblent légères, le dessein des peintures ne l'est pas. Les rouges violents, les pourtours noirs zébrés ouvrent à une certaine violence pornographique. L'auteur en accepte les mises pour montrer ce que son habituel bain ne retrace que de manière conventionnelle.
De fait Cauda crée du leurre dans cette façon de montrer et ce de manière paroxysmiques. Il monte des fesses rondes, molles ou dures au niveau du regard et ose une zoophilie sauf lorsque les bêtes elles-mêmes font de l'humain l'objet de leur instinct. Tout suinte, éjacule en une fiesta infernale où frapper semble aussi une façon de jouir au sein de fables hirsutes auxquelles les partisans de la morale (ou du moindre effort) ne peuvent accorder qu'une fin de non recevoir.
L'artiste joue d'un art volontairement primitif. Celui que les frustrés de jadis dessinaient maladroitement dans la cachette des toilettes publiques. Cauda les reprend à sa main (si l'on peut dire). Certains sexes jouissent, d'autres lâchent leur urine. Mais c'est toujours l'occasion d'une poétique des fluides. Les vulves et les membres ont des yeux fous : Bataille n'a plus qu'à remiser ses gammes.
Sa Madame Edwarda au bordel ne peut régenter celles et ceux qui sont parcourus de soubresauts et de gémissements animaux. Cochons et truies transvasent leur tombereau de graisse. C’est un beau cadeau qu'ils se font, crispés dans leur pont suspendu au-dessus de leur vide dans ce nouveau "tout pour la tripe" (Rabelais).
Reste l'éclatant martyr des corps en rut. Le "à nos amours" devient une farce atomique où la viole de gambettes s’anime dans divers types de latrines. Chaque figure y retourne sans cesse comme dans une boucherie afin de cueillir jasmins, lilas, muguets, roses et lys par devant, par derrière. Baisés et travaillés, suppliciés ou extasiés par le cul, les mâlins vivent au dépend de ce qui jaillit ou rentre dans le boyau. Parfois ils n'hésitent pas pour y mettre le poing comme il sied à marteau en de "génitales party". Des jambes sont dans le vide, ballantes. Le sexe est rempli. Qu'importe alors - lorsque Cauda zoome sur une bouche - si se voit clairement qu’il manque des dents.
Force est de constater que devant une forme, l’obésité flasque de la vie dans ses plis, l'obscénité devient un moyen de créer des histoires ceintes au-dessous de son niveau de chasteté. Cauda en devient le clou et le charpentier. Cela ne retranche rien au délit qu'il scénarise dans son immense « purgatio ».
Les végétaliens y trouveront de quoi s'abstenir. Mais ici tout devient plus Pâques fleuries que Vendredi Saint. Honte, honte à Cauda. C’est un vrai diable, un bouc. Emissaire enjoué de tous les péchés capiteux. Décapiter ne lui fait pas peur. Il tranche dans le lard pour nous en offrir des tranches aussi délictueuses que délicieuses pour peut que chacun conserve le sens de l'humour.
Ici l'on fornique à tord ou à travers. Voire pire. Pour preuve il reste des résidus de viande dans les escaliers où les avanies ont lieu (pas besoin d'ascenseurs pour s'envoyer en l'air). Abondance de rognons, cuisses fortes, jambons qu’on bâillonne, blancs de poulettes sont du meilleur aloi (du plus fort).
Le tout dans un esprit peu chrétien sauf lorsque les verges des prêtres prolifèrent avant d'implorer la commisération de Sainte Sexo. Pour l'heure Cauda n'en a rien à faire. Le troupeau de ses brebis à peau de panthère sont livrées aux viornes des chiens jusqu'à ce qu'un âne non conviés à la fête, de ses fers arrière viennent forger les céans canins d'une béante croupière.