Ouverture du FPM N°11
Jacques Ancet
AU BORD
Il suit les traces. Il les perd.
Dans le plein, il voit le vide.
Des noms se dispersent. Il voit
luire les restes du jour.
Il ne compte plus sur ses doigts.
Il ne ferme pas les yeux.
Il est au bord. Il attend.
*
Seul, avec le noir de la nuit
qui persiste dans le jour.
Seul, même avec, à côté,
le pied, la main, le visage,
le partage du silence,
chaque objet dans son contour.
Seul avec la voix qui parle.
*
Le bruit sec que fait la tasse.
C'est bien, dit-il, c'est très bien.
Et maintenant, que fait-on?
Du jour est tombé un voile
gris. Personne n'entend rien
ni ne comprend rien, d'ailleurs.
Il regarde, il ne voit pas.
*
Parfois il voit la lumière:
elle vient sans qu'il l'attende.
Elle est là sur une feuille,
sur le sol, sur les doigts.
Il ne compte plus. Les nombres
se sont perdu. Il attend
prononce un mot — et l'oublie.
*
Il se dit qu'il est trop tard.
Malgré tout, il continue.
Les ombres tremblent toujours
et les voix n'ont pas cessé.
Il pourrait bien les comprendre
mais comprendre, pour quoi faire?
Le jour est une étincelle.
*
Il écoute. Ce qui parle
ressemble à ce qui se tait.
Des visages se défont
dans les branches. La montagne
s'avance, monte, s'enfonce
dans la brume. Quelque chose
traverse le temps, se perd.
*
Il cherche à dire ce rien
dont il est fait. Tout autour
le plein des choses: les livres,
la lampe, les deux tomates
qui brûlent. Le soleil perce
la brume, les oiseaux tournent.
Ou les mots? Il ne sait plus.
*
Il arrive au bout. Il va
tourner la page, au sens propre
au sens figuré aussi.
Tourner, oui. Un peu de vent
pourrait l'aider. La lumière
incertaine, le bruit du sang
ou soudain, tout près, ce rire...
*
Ce qui tombe, gland, aile ou feuille,
ce qui vient, un peu de vent,
un peu de ciel, ce qui parle
sans parler dans la voix seule...
Il se ronge un ongle, lève
les yeux, ne voit que l'éclat
d'un instant — qu'il ne voit plus.